Les déferlantes


Les romans / mardi, juillet 17th, 2018

Autrice :  Claudie Gallay
Éditeur : J’ai lu
Parution : 2010
Pages : 539

Résumé 

La Hague… Ici on dit que le vent est parfois tellement fort qu’il arrache les ailes des papillons. Sur ce bout du monde en pointe du Cotentin vit une poignée d’hommes. C’est sur cette terre âpre que la narratrice est venue se réfugier depuis l’automne. Employée par le Centre ornithologique, elle arpente les landes, observe les falaises et leurs oiseaux migrateurs. La première fois qu’elle voit Lambert, c’est un jour de grande tempête. Sur la plage dévastée, la vieille Nan, que tout le monde craint et dit à moitié folle, croit reconnaître en lui le visage d’un certain Michel. D’autres, au village, ont pour lui des regards étranges. Comme Lili, au comptoir de son bar, ou son père, l’ancien gardien de phare. Une photo disparaît, de vieux jouets réapparaissent. L’histoire de Lambert intrigue la narratrice et l’homme l’attire. En veut-il à la mer ou bien aux hommes ? Dans les lamentations obsédantes du vent, chacun semble avoir quelque chose à taire. « Les questions, les réponses, ce complexe tricotage de mensonges et de vérités. Les choses dites en décalé, celles dites seulement en partie et celles qui ne le seront jamais. Toutes les teintes du contre-jour ».

Ce livre n’était pas forcément ce que j’avais prévu mais malgré tout, je n’ai jamais pu lâcher cette lecture.

L’autrice nous entraîne dans un monde à la frontière de la terre et de la mer, entre le monde d’aujourd’hui et la violence du monde d’autrefois. On est embarqué dans ce bout du monde civilisé qu’est La Hague, à la pointe du cap Contentin. Fin de tout, fin de l’humanité, on est confronté à la dureté de vie d’un lieu qui semble hors du temps.

C’est une forme de huis clos, on tourne et retourne dans ce village jusqu’à en dessiner mentalement le plan. On y suit cette héroïne perdue, mort-vivante, suppliante dont un deuil terrible empoisonne les jours et surtout les nuits, et qui trouve plus de réconfort dans l’étude des cormorans que dans la présence humaine.

La quatrième de couverture me vendait presque une romance, l’histoire de deux personnages. Deux personnages qui valent la peine, des fils conducteurs, des êtres humains ballotés par leur destinée, abîmés….

« Il y avait dans son regard un mélange de tendresse et de douleur, une lumière propre à ceux qui vivent la vie avec infiniment plus d’acuité que les autres. Le regarder m’a fait mal. »

Pourtant, c’est bien plus que cela et s’il est bien question d’amour, il est ici surtout question de haine et de secrets. De ces secrets de village traînés comme des boulets, de ces rumeurs et de ces ombres qui vous observent derrière des dentelles. Cette surveillance permanente propre aux endroits confinés. Ces jugements qui vous encagent, qui vous scellent dans une destinée… Une violence inouïe contenue dans les vécus des âmes errantes de la Hague… Ces hommes et ces femmes n’ayant jamais quittés la mer, enchaînés par leurs souvenirs et leurs morts.

A l’image de Florelle, enfant devenue vieille, enchaînée à ses morts et à ses larmes, destinées à les pleurer toute sa vie, écrasée par les attentes de la communauté et le respect dû aux disparus, seule survivante, elle devait avoir le mauvais œil. Alors elle est devenue la couturière des morts. A la frontière des mondes, elle a tenu son rôle, le seul qu’on lui laissait. Ce personnage était effrayant et tellement…. Pathétique ou émouvant…

« J’ai frôlé du bout des doigts le tissu de la robe. L’histoire racontée et écrite à petits points serrés. Le noir du fil à peine plus brillant que le noir de l’étoffe. Des broderies indéchiffrables. Une vieille qui coud, c’est ce que j’avais pensé souvent en la voyant penchée derrière sa fenêtre Une vieille qui ravaude. Une folle ».

Ces êtres à l’image des sculptures réalisées par Raphaël sont autant de personnages théâtraux, mû par des sentiments extrêmes, écartelés même.

Et nous, en tant que lecture, on se retrouve face à ces visages ridés, burinés par le temps et le chagrin, ces femmes simplement tenues par leur haine ou leur désespoir. C’était très particulier de se retrouver confronter à une telle profondeur, une telle intensité qui n’est bien souvent transmise que part des silences, car même les silences peuvent devenir des insultes.

Cette « comédie » humaine est fascinante à voir, chacun des personnages croisés est en demi-teinte, à l’image du ciel de la Hague et de ces tempêtes monstrueuses où les oiseaux s’écrasent sur les vitres, désarticulés.

Les êtres humains aussi n’en sortent pas indemne et les morts et leurs fantômes peuplent les esprits des vieux et des vieilles, leur empoisonnant la vie jusqu’à la fin.

« A La Hague, les vieux et les arbres se ressemblent, pareillement torturés et silencieux. Façonnés par les vents. Parfois une silhouette au loin, et il est impossible de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’autre chose ».

En plus de cela, il y a évidemment un mystère de plus de 40 ans, une famille noyée en mer, un phare qui se serait éteint, des secrets gardés, des souvenirs comme de broderies argentées sur les linceuls des morts.

« La mer s’est durcie, elle est devenue noire comme si quelque chose d’intolérable la nouait de l’intérieur. Le bruit assourdissant du vent s’est mêlé à celui des vagues ». 

L’autrice a vraiment réussi à m’embarquer dans la dureté de ce monde, avec son style abrupt, ces phrases courtes, ces personnages secs, ces êtres capables du pire simplement pour se venger de leur propre tristesse et éviter à tous prix que l’autre puisse être heureux. Je n’avais plus rencontré de personnage aussi autodestructeurs depuis…. Les Hauts de Hurlevent. Et il y a au moins un énorme point commun entre ces deux livres : le vent qui hurle, le vent qui fait trembler et le ciel bas et noir qui domine tout de sa présence menaçante.

« Les vents qui soufflent les jours de tempête sont comme des tourbillons de damnés. On dit qu’ils sont des âmes mauvaises qui s’engouffrent à l’intérieur des maisons pour y prendre ce qu’on leur doit. On, c’est-à-dire, ceux qui restent, les vivants ».

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