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L'Ingrat

Il était une fois un roi très puissant qui décida de visiter tout son royaume afin de le mieux connaître. En le parcourant, il rencontra un pauvre homme qui demandait l'aumône. Le roi examina son beau visage et lui déclara : «Dis-moi d'où tu viens et comment tu t'appelles.L'homme répondit : «Je suis ton humble sujet. Je suis né et j'ai été élevé dans ton royaume et l'on m'appelle L'Ingrat.»
Le roi répliqua : «Ce nom mérite réflexion. Si, comme je l'espère, tu es un brave homme, je t'aiderai.»
L'Ingrat affirma : «Je te jure, Seigneur, que tu ne te trompes pas à mon sujet.»
Et le roi, se laissant aller à sa complaisance, l'emmena avec lui à la cour. Là, l'homme se comporta correctement et sagement. En peu de temps, il devint riche. Enfin, le roi le nomma maréchal. En atteignant cette haute fonction, l'Ingrat devint orgueilleux. Il s'imposa aux autres par la force et se conduisit avec dureté à l'égard des pauvres.
Non loin du palais royal, il y avait une grande forêt peuplée d'animaux. Et dans cette forêt, comme l'avait ordonné le roi, les gardes-chasse avaient creusé des pièges profonds qu'ils avaient recouverts de branchages. Un jour, le maréchal s'en fut seul se promener à cheval. Comme à son habitude, il ne prenait trop garde où sa montu­re posait les sabots. Il avait la tête bien trop haute pour cela, car il songeait qu'il n'y avait personne au-dessus de lui, hormis le roi. Et il fit à ses dépens la démonstration du proverbe qui dit que l'orgueil précède la chute. En effet, alors qu'il allait de-ci, de-là, il tomba dans un de ces pièges profonds et ne parvint à en sortir d'aucune façon. Ce jour même, un énorme serpent était également tombé dans le piège. Alors, le maréchal se mit à appeler à l'aide, mais en vain. Personne ne l'entendait, car il était loin de toute habitation.
Par chance pour lui, ce jour-là, passait dans la forêt un pauvre homme monté sur son âne. Ce pauvre homme cherchait du bois. Quand le maréchal l'entendit fredon­ner, il l'interpella : «Brave homme, qui que tu sois, je te demande au nom de Dieu de te diriger vers moi d'après ma voix et de m'aider à me tirer de ce mauvais pas. Je te récompenserai richement.»
Là-dessus, le pauvre diable répondit : «Qui es-tu, et pourquoi cries-tu autant?«
L'Ingrat répondit : «Je suis le maréchal du Roi et je suis tombé par malchance dans un piège de chasseur. Un énorme serpent y est tombé aussi, et j'en ai terriblement peur. Si tu me sors de là, je te promets une telle récompense que tu seras hors du besoin pour le restant de tes jours.»
A ces mots, le pauvre homme du nom de Quido se réjouit. Il s'approcha du trou et dit : «J'ai sur moi une assez longue corde. Je vais t'envoyer l'une de ses extrémités. Attache-la autour de ta taille et je te tirerai de là.»
Il lança la corde dans le trou. Mais le serpent la vit le premier et s'y accrocha. Le pauvre homme crut de bonne foi qu'il s'agissait du maréchal et tira. Quand il l'eut sorti du piège, il s'agenouilla devant lui et se prosterna. Sur ces entrefaites, retentit la voix du maréchal : «Maintenant que tu as écarté de moi le danger, ne me laisse pas ici. Lance-moi de nouveau la corde, je t'en prie.»
Ainsi fut fait. Le maréchal s'attacha la corde autour de la taille et Quido le tira du trou. Puis L'Ingrat remonta sur son cheval et s'en retourna au château où il ne souffla mot de l'aventure.Le matin suivant, Quido se leva. Il se rendit au palais royal et frappa à la porte. Un garde se présenta à lui et lui demanda ce qu'il voulait.
Quido répondit : «Va dire, s'il te plaît, au Maréchal que l'attend à la porte le pauvre homme avec lequel il a parlé hier. Dis-lui aussi qu'il requiert sa faveur.
Le garde s'en fut transmettre le message au maréchal. En l'écoutant, ce dernier se rembrunit et dit brutalement : «Va, et dis-lui de déguerpir au plus vite!
Le garde s'en retourna et transmit l'ordre à Quido. Celui-ci en fut attristé et rentra chez lui. Sa femme le consola : «Sois patient, ce seigneur n'avait sans doute pas de temps à te consacrer aujourd'hui. Tu y retourneras demain. Le lendemain matin, Quido se leva et s'en fut de nouveau frapper à la porte du palais. Le garde le reconnut et alla dire au maréchal : «Seigneur, le pauvre homme qui est venu te voir hier est de nouveau à l'entrée du palais. Il refuse de partir et demande que tu veuilles bien lui parler.»
L'Ingrat répliqua : «Va, et dis-lui que je ne veux pas le voir. S'il est assez insolent pour revenir une troisième fois, il recevra une telle correction qu'il ne tiendra plus sur ses jambes.»
Le garde avait son opinion là-dessus, mais que pouvait-il faire? Il se contenta donc de transmettre à nouveau le message à Quido qui rentra tristement chez lui. Sa femme le réconforta comme elle le put et lui dit : «Essaie encore. Peut-être que Dieu lui inspirera plus de complaisance à ton égard.
Ces propos plurent à Quido. Le matin suivant, il se leva et, comme auparavant, il s'en fut demander au garde de transmettre sa requête au maréchal. Celui-ci s'écria
«Comment? Il ose se présenter à nouveau? Je lui avais pourtant fait savoir qu'il n'avait pas intérêt à reparaître une troisième fois!
Plein de colère, il sortit du palais et battit le pauvre Quido si cruellement qu'il le laissa à moitié mort. Lorsque sa femme l'apprit, elle vint le chercher avec leur âne et l'emporta à la maison où il demeura allongé, malade, pendant deux mois entiers.
Quand il fut guéri, il s'en retourna dans la forêt, sur son âne, pour chercher du petit bois comme il le faisait auparavant. Sur son chemin, il rencontra le serpent qu'il avait tiré du fossé. Il portait dans sa gueule une petite pierre tricolore. Elle était blanche d'un côté, rouge de l'autre et noire sur la troisième partie. L'animal posa la pierre devant Quido. Ce dernier la saisit. Mais comme il n'y connaissait rien en pierres précieuses, il s'en fut chez un homme sage qui était expert en ces matières, afin de savoir quel pouvoir elle détenait.
Quand le sage vit cette pierre, il exulta et dit : «Si tu me la cède, je t'en donne cent ducats.» Mais Quido pressentit que cette offre cachait quelque chose, et il refusa de vendre sa pierre.
Le savant lui dit : «Tu fais bien, car celui qui détient cette pierre recevra trois dons la richesse, les honneurs et la faveur des. gens et de Dieu. De plus, s'il est obligé de la vendre pour moins que son prix, elle lui reviendra toujours.»
Lorsqu'il entendit cela, Quido se réjouit. En peu de temps, grâce au pouvoir de cette pierre, il put acquérir des propriétés et le respect de tous. Enfin, il devint le seigneur le plus riche du royaume.
La nouvelle de sa richesse et de la façon dont il l'avait acquise parvint aux oreilles du roi. Celui-ci le fit quérir et lui dit : «On m'a rapporté, mon ami, que tu possédais une pierre précieuse inouïe. Je te prie de me la vendre.»
Quido protesta : «Dieu ne le permettrait pas, car en elle est la source de toute ma fortune.»
Mais le roi insista : «Tu as le choix entre deux options : ou bien tu me vends cette pierre, ou bien je te bannis!»
Le malheureux Quido s'inclina : «Puisque tu le veux ainsi, Seigneur, je te la vendrai donc. Mais je te préviens : si tu ne m'en donnes pas le juste prix, elle me reviendra d'elle-même.»
Le roi déclara : «Puisque c'est ainsi, je t'en offre trois mille ducats.»
Quido prit l'argent et remit la pierre au souverain. Peu de temps après, le roi le fit chercher pour lui demander : «J'aimerais savoir comment cette pierre est venue en ta possession.»
Quido répondit par une question : «Où est donc cette pierre?»
Le roi se contenta de sourire : «Oh! Elle est bien gardée. Je l'ai mise avec le reste de mon trésor, dans une cachette bien close!»
Mais Quido le détrompa : « Je regrette, souviens-toi de ce que je t'avais dit : que la pierre me reviendrait si je n'en recevais pas le juste prix. C'est ce qui s'est passé. Je l'ai trouvée aujourd'hui même, chez moi, dans mon coffre. Mais à présent, je te l'offre, pour rien. C'est le seul moyen pour qu'elle reste avec toi.»
Puis il lui conta en détail comment il l'avait acquise, comment le maréchal, tombé dans un fossé en compagnie d'un serpent, lui avait promis monts et merveilles pour ensuite le battre cruellement, et comment le serpent lui avait offert cette pierre en récompense. En entendant cela, le roi s'affligea de la perfidie de son maréchal. Il se tourna vers celui-ci et lui dit :
«Entends-tu ce que Quido dit contre toi?» Mais l'Ingrat ne put rien trouver pour sa défense.
Le roi poursuivit donc :
«Homme indigne! Tu mérites bien ton nom par la façon dont tu sais gré des bontés que l'on a pour toi. Au lieu d'être reconnaissant à celui qui t'a sauvé d'une fin atroce, tu l'as battu à mort et c'est un simple animal qui l'a récompensé à ta place. En punition, je donne tes biens et ton titre à Quido. Je le nomme maréchal à ta place. Quant à toi, je te ferai pendre ce jour même.»
Lorsque les seigneurs et les humbles eurent connaissance de ce jugement du roi, tous se réjouirent. Quant à Quido, il gouverna le royaume avec respect et intelligen­ce. I1 avait assez de bien pour lui-même et combla les pauvres de ses dons. Il se montra bon envers tous et termina sa vie en paix.


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