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Comment Arthur a reçu Excalibur

Lorsque les rois Ban et Bohors s'en retournèrent en Petite Bretagne, les seigneurs révoltés trouvèrent refuge pour se reposer et soigner leurs blessures dans la ville de Surhaute au pays de Gore sur lequel régnait Urygens. Nombre d'entre eux avaient péri au combat, aussi décidèrent-ils de protéger la frontière du pays de Galles et celle du nord, le temps de reconstituer leurs forces.
De leur côté, Arthur et ses chevaliers avaient fort à faire. Un long et dur labeur les attendait pour rebâtir les églises détruites pendant les combats et construire de nouveaux châteaux capables de résister aux sièges les plus prolongés. Il fallait protéger les côtes des invasions saxonnes et pictes. Chaque jour, ils s'entraînaient et organisaient régulièrement des tournois pour vérifier leur habileté aux armes. Leur réputation se répandit rapidement à travers tout le pays, et très vite on s'en vint de partout alentour admirer les chevaliers en armure sur leurs magnifiques chevaux.
Tout ceux qui avaient subi une injustice ou qui couraient un danger pouvaient venir demander de l'aide à la cour du roi. Dans le royaume, chacun, riche ou pauvre, sut bientôt que l'on pouvait compter sur Arthur et ses chevaliers pour combattre toutes les oppressions. Nombreux furent les prisonniers délivrés et les dames en détresse secourues par le roi Arthur et ses vaillant chevaliers.
Mais le problème des relations avec les seigneurs du nord restait entier. Arthur se demandait toujours s'il pouvait vraiment se proclamer roi tant que ces derniers lui dénieraient ce titre. Il fit venir Hector et Merlin pour savoir qui était sa mère.
Ils répondirent que c'était Ygraine, l'épouse d'Uther.
« Envoyez-la chercher, qu'elle me dise elle-même que je suis son fils », ordonna-t-il alors, en plein désarroi.
Des émissaires partirent chercher Ygraine, et on prépara une grande fête en son honneur. Dans la grande salle du château, tous les chevaliers, tous les seigneurs et tous les vassaux étaient assis selon leur rang à deux longues tables ; Arthur et ses conseillers leur faisaient face, à une table un peu surélevée.
Quand Ygraine eut pris place aux côtés du roi, un chevalier se leva et, du fond de la salle, s'adressa à elle d'une voix forte, afin que toute l'assemblée puisse l'entendre : « Reine Ygraine, je t'accuse d'être la cause des rébellions qui ravagent le royaume. Si, du vivant d'Uther Pendragon, le roi et toi aviez reconnu qu'Arthur était bien votre fils, vous auriez évité de nombreux drames et tous les sujets d'Arthur l'auraient accepté pour roi. Je proclame que tu es une dame sans honneur, et une traîtresse. »
Tous regardaient Ygraine qui se tenait assise, les yeux baissés. Elle resta silencieuse un instant, puis releva la tête et prit la parole. « Aidé par les pouvoirs de Merlin, le roi Uther vint à moi sous les traits de mon époux, Gorlois de Cornouailles, alors que celui-ci était déjà mort. Cette nuit-là, j'ai conçu un enfant. Puis le roi Uther m'épousa et fit de moi sa reine. Quand mon fils naquit, on me l'enleva et Merlin l'emporta, enveloppé dans un drap d'or. Je n'ai jamais su ce qu'il était advenu de lui, je ne connais même pas son nom. »
Hector bondit de son siège. « La reine dit la vérité », s'exclama-t-il. Puis il se tourna vers Arthur: « Merlin t'a apporté à moi enveloppé dans un drap tissé d'or. Tu ne peux être que le fils d'Uther et d'Ygraine. »
Arthur prit sa mère dans ses bras et l'embrassa. Il ordonna que la fête durât sept jours et que les verres et les assiettes ne désemplissent pas. Pendant que toute la cour festoyait, musiciens et chanteurs vinrent distraire le roi. Puis des chevaliers racontèrent tour à tour leurs exploits. Enfin arrivèrent tous ceux qui demandaient justice ou réclamaient l'aide du roi.
L'un d'entre eux, un très jeune écuyer, entra dans la Grande Salle, conduisant un cheval qui portait sur son dos le corps d'un chevalier visiblement tué depuis peu. Le jeune homme descendit de sa monture et s'agenouilla devant Arthur.
« Seigneur, dans la forêt toute proche, un étrange chevalier, qui dit se nommer Pellinore, roi des Îles, a planté une grande tente, une de celles qu'on appelle un pavillon, près d'un puits. II lance un défi à tous ceux de vos chevaliers qui passent à sa portée, et il vient de tuer mon noble maître. Je vous en supplie, envoyez quelqu'un le combattre. »
Arthur reconnut que justice devait être faite. Gryflet, un écuyer tout juste arrivé à la cour ne rêvait que d'accéder à la chevalerie : il demanda qu'on le laisse affronter Pellinore. Arthur hésitait à lui accorder cette faveur, car Gryflet était à peine sorti de l'enfance, et très inexpérimenté au combat. Mais à Camaalot la coutume voulait que le premier qui réclamait d'accomplir un haut fait soit exaucé. Arthur demanda l'avis de Merlin.
« Autorise Gryflet à combattre, mais à condition qu'il se batte seulement à la lance; dans un affrontement à l'épée, il sera sûrement tué. »
Arthur fit agenouiller Gryflet devant lui.
« Je ne peux refuser ta demande », lui dit-il, et le frappant de son épée, il le fit chevalier sur-le-champ.
Puis il ajouta: « Maintenant que je t'ai fait l'honneur de t'adouber, c'est à mon tour de te demander quelque chose.
- Tout ce que vous me demanderez, je le ferai, répondit Gryflet.
- Tu vas me faire une promesse. Dans le combat que tu t'apprêtes à livrer, tu n'useras que de lances, que tu sois à pied ou à cheval.
- Je le promets », répondit Gryflet.
Le nouveau chevalier s'empara de son écu, de sa lance, se mit en selle et partit rapidement vers le combat. Il arrivait à proximité du campement près du puits lorsque Pellinore, alerté par le bruit que faisait le harnachement du cheval, sortit de sa tente pour lui demander ce qu'il voulait.
« Je suis venu vous affronter », répondit courageusement Gryflet.
Pellinore, voyant la jeunesse de Gryflet, poussa un soupir.
« Seigneur, lui dit-il, vous devriez vous en retourner. Vous êtes jeune et inexpérimenté. Je suis beaucoup plus fort que vous et un combat entre nous serait trop inégal. Ne me forcez pas à me battre contre vous.
- Vous n'avez pas le choix, reprit Gryflet, je suis chevalier, et je vous lance un défi.
- D'où venez-vous, jeune homme ? demanda Pellinore.
- De la cour du roi Arthur, et je réclame l'honneur de me battre.
- Qu'il en soit selon votre désir », soupira Pellinore. À regret, il monta sur son cheval, pointa sa grande lance, et attaqua.
Les deux chevaliers, leurs oriflammes flottant au vent et leurs boucliers relevés éperonnèrent leurs chevaux. Le choc fut brutal. Malheureusement pour Gryflet, son écu fut immédiatement transpercé par la lance de Pellinore, et il s'effondra sur le sol, gravement blessé.
Pellinore le regarda tristement, lui enleva son heaume et examina sa blessure. Puis il le souleva et le reposa sur son cheval. « Quel brave jeune chevalier, murmura-t-il pour lui-même; s'il survit, il saura bien prouver sa valeur. »
Puis il fit tourner le cheval vers la direction d'où il était venu, et le fit repartir vers Camaalot. Le cheval ramena directement le jeune homme inconscient dans la Grande Salle, où Arthur et ses chevaliers étaient en train de dîner.
Arthur entra dans une violente colère en voyant les blessures du jeune homme et décida d'affronter lui-même le chevalier inconnu en combat singulier. Sans dire à personne où il allait, il quitta la cour le matin suivant avant l'aurore, bien déci­dé à venger Gryflet. Merlin qui dans sa sagesse connaissait bien Arthur, attendait le roi au pied des murailles du château. Il tenta longuement de le persuader de renoncer à son projet, car il savait Pellinore beaucoup plus fort qu'Arthur, pour­tant habile aux armes et endurant au combat. Le roi ne voulut rien entendre et ils partirent tous deux. À leur arrivée dans la clairière où Pellinore avait établi son camp, Arthur provoqua sur-le-champ le roi des Îles.
Les deux chevaliers chargèrent à fond de train. Arthur se battait vaillamment, mais il comprit très vite que Merlin avait eu raison de le prévenir. Au bout de peu de temps il se retrouva à combattre à pied, au corps-à-corps, épée contre épée. Après un rude engagement, Pellinore lui asséna un tel coup que l'épée d'Arthur vola en morceaux et qu'il se retrouva allongé sur le sol, à la merci de son adversaire.
À ce moment Merlin qui craignait pour la vie d'Arthur décida d'intervenir.
« Retenez votre épée, seigneur chevalier, cria-t-il. Savez-vous à qui vous avez affaire ? Si vous le tuez, vous allez semer le désordre dans tout le royaume. Toute paix disparaîtra et chacun craindra à nouveau pour sa vie.
- Pourquoi ? Qui est-ce ? demanda Pellinore.
- Le roi Arthur! » répondit Merlin.
Pellinore était plus effrayé à la perspective de la colère d'Arthur que désolé de l'avoir vaincu en loyal combat. Il leva son épée pour lui porter le coup de grâce. Merlin, prévoyant ce qui allait se passer, plongea par magie le roi des Îles dans un profond sommeil.
Arthur se releva promptement, et vit Pellinore étendu devant lui sur le sol.
« Merlin, s'écria-t-il, vois ce que tu as fait. Tu as tué ce brave chevalier en usant de tes pouvoirs. Je préférerais perdre tout ce que je possède plutôt que de le voir mourir de cette façon.
Ne crains rien, répondit Merlin, il n'est pas mort. Il dort profondément, mais il se réveillera dans quelques heures. Si je ne lui avais pas jeté ce sort, tu ne serais plus de ce monde. »
Merlin emmena Arthur qui avait reçu de graves blessures durant le combat, vers un ermitage au plus profond de la forêt. L'ermite avait des talents de guérisseur et Merlin et lui soignèrent les plaies du roi, avec des potions à bases de plantes bien particulières. Arthur dut se reposer pendant trois jours avant de se trouver à nouveau en pleine possession de ses forces. Il repartit alors avec Merlin. Ils traversèrent une contrée sauvage et désolée, où ils ne virent ni bête ni homme; des rochers s'étendaient à perte de vue et un brouillard permanent y régnait. Nul oiseau ne chantait, la végétation était rase et brûlée. L'inquiétude d'Arthur allait grandissant. Depuis que son épée avait volé en éclats durant le combat avec Pellinore, il était totalement désarmé.
« Merlin, demanda-t-il, pourquoi me conduis-tu dans un lieu aussi ancien, à l'aspect tellement funeste ? Je n'ai même pas d'arme pour me défendre.
- C'est bien pour cela que je t'emmène ici », répondit l'enchanteur.
Arthur vit soudain, à travers les écharpes de brouillard, qu'ils arrivaient auprès d'un grand lac. Des roseaux et des joncs poussaient sur les berges, et de menues vagues venaient lécher doucement le rivage.
« Mon roi, dit doucement Merlin, te voici en Avalon. Tu y viendras une fois encore, une seule avant ta mort. »
Puis il lui montra la surface scintillante du lac. « Et voici l'épée qui sera tienne. »
Au milieu du lac, Arthur vit un bras se dresser au dessus de la surface de l’eau , une magnifique épée à la main.
Une dame d’une resplendissante beauté vint alors vers eux, marchant sur les eaux. Elle était vêtue de samit vert, et sa longue chevelure avait la couleur de l’or. Dans ses mains tendues, elle tenait un fourreau tout brillant de joyaux.
« voici la dame du lac, annonça Merlin. Elle vit sous les eaux, dans un château plein de merveilles. Parmi celles-ci, elle conserve pour toi cette épée, qui s’appelle Excalibur. Elle a été forgée par un forgeron de l’Autre Monde dans la nuit des temps. Demande-la lui, elle te la donnera »
La Dame du lac marchait vers le rivage, là où se tenait Arthur et Merlin. Quand elle fut assez proche, Arthur la salua avec le plus profond respect, et lui demanda 
: « Dame, dites-moi à qui appartient cette épée que je vois dans le lac ?
- Elle t’est destinée, comme ce fourreau, répondit la Dame. Mais à une seule condition : Tu dois me jurer qu’avant de mourir, tu me rendras cette épée. » 
Arhur accepta de son plein gré. La Dame le conduisit alors à une petite barque amarrée tout près, et lui ordonna de ramer jusqu'à Excalibur, puis de la prendre à la main qui la brandissait. Arthur et Merlin attachèrent leurs chevaux à un arbre et ramèrent jusqu'au milieu du lac. Quand ils se retournèrent vers la rive, la Dame du Lac avait disparu, et aussitôt qu'Arthur se fut emparé de l'épée, le bras s'en­fonça rapidement sous les eaux.
En silence, les deux hommes revinrent lentement vers le rivage et amarrèrent la barque parmi les joncs. Arthur se ceignit de l'épée.
« Que préfères-tu, l'épée ou son fourreau?, lui demanda Merlin alors qu'ils remontaient à cheval.
- L'épée, répondit Arthur.
- Voici un choix peu avisé, répliqua Merlin. Même si Excalibur est une mer­veilleuse épée avec laquelle tu gagneras maintes batailles, sache que le fourreau vaut cent fois plus que la lame qu'il protège. Tant que tu le porteras, aussi graves que soient tes blessures, tu ne perdras pas une goutte de ton sang. Conserve bien ce fourreau, et porte-le toujours lorsque tu combattras. »
Arthur et Merlin quittèrent Avalon pour rentrer à Camaalot. Ils ne rencontrè­rent aucune aventure en chemin et arrivèrent tranquillement au palais. Les che­valiers fidèles montrèrent une très grande liesse en retrouvant leur jeune roi, et furent éblouis par les prouesses qu'il avait accomplies seul pendant son périlleux voyage. Ils furent surtout satisfaits de voir qu'il avait risqué sa vie comme n'im­porte lequel d'entre eux.
Dans les années qui suivirent, on entendit souvent conter dans le royaume la ren­contre d'Arthur avec la Dame du Lac, et la façon dont le roi avait obtenu Excalibur.


PERHAM, Molly, Le Roi Arthur & Les légendes de la Table Ronde, Coop Breizh, 1996.

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