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Merlin l'Enchanteur

Voici bien des siècles, la Bretagne était terre de magie et de merveilles. Sorcières, géants, dragons habitaient l'épaisse forêt qui recouvrait la majeure partie du pays. Merlin était un homme de haut savoir dont tous respectaient la sagesse et les pouvoirs. Personne ne savait qui il était, ni d'où il venait. On le prétendait né d'une princesse de Cornouailles et d'un ange déchu. Les druides l'avaient élevé et lui avaient appris l'astrologie, l'art des enchantements et celui de la métamorphose. De son mystérieux père, il avait reçu le don de seconde vue.

On vivait là des temps dangereux, troublés, où régnaient la peur et le désordre. Pendant des années les Bretons avaient été soumis aux lois de Rome, et quand les légions s'étaient enfin rembarquées pour la mère patrie, les combats avaient commencé entre les tribus. Le peuple priait pour que lui soit envoyé un grand chef capable de faire régner l'union et la paix sur tout le pays. Mais le diabolique Vortigern tua son ennemi, le noble et bon Constantin, et se proclama roi. Les troupes de Vortigern entreprirent d'exterminer impitoyablement tous ceux qui se dressaient sur leur chemin, et ce bain de sang dura des années.

Puis les Saxons venus de la mer du Nord débarquèrent et chassèrent les Bretons de chez eux, et Vortigern se réfugia avec son armée dans les montagnes du pays de Galles. Il décida d'y bâtir une puissante tour pour se protéger des sauvages guerriers du Septentrion et ordonna à ses hommes de rassembler une énorme quantité de pierres destinée à cette forteresse qui s'élèverait au sommet du Snowdon, la plus haute montagne du pays de Galles. Les maçons avaient beau travailler dur, l'ouvrage n'avançait pas. Chaque soir, quand la nuit tombait, tout ce qu'ils avaient construit dans la journée s'écroulait. Après plusieurs semaines, ils vinrent déclarer au roi qu'il leur était impossible de bâtir sa tour.

En les entendant, Vortigern fut consterné. Il envoya chercher tous les sages et les magiciens de sa connaissance, et leur demanda comment édifier son château. Ils se concertèrent et déclarèrent enfin au roi qu'il fallait trouver un homme qui ne soit né d'aucun père humain. Le sang de cet homme, mêlé au mortier, empêcherait les murs de s'écrouler.

On envoya des messagers à travers tout le pays avec pour mission de ramener un tel homme ; ils finirent par mettre la main sur Merlin et le ramenèrent au roi. Vartigern fut enchanté de voir Merlin paraître devant lui, car il croyait tenir en sa persienne le moyen de construire sa forteresse.

Quand il entendit ce qu'on attendait de lui, Merlin éclata de rire : « Mon sang ne maçonnera pas ces pierres, déclara-t-il dédaigneusement. Quels insensés ont osé te raconter cette fable ? »

Vortigern envoya quérir ses savants conseillers. « Dites-moi, interrogea Merlin, pour quelle raison le château s`écroule-t-il ? »

Ils se regardèrent, dans un silence embarrassé.

Alors Merlin reprit : « Si vous ne savez pas pourquoi il s'écroule, comment pouvez-vous être sûrs que mon sang le rendra solide ? »

Comme les sages continuaient à se taire, Merlin se tourna vers Vortigern : « Une mare large et profonde s'étend loin au-dessous de ton château, expliqua-t-il au roi. Tu trouveras la cause de tous tes ennuis cachée au fond de ses eaux. Ordonne à tes hommes de creuser profondément sous les fondations, et tu verras que j'ai raison. »

Vortigern était anxieux de voir ce que savait cet étrange personnage ; aussi ordonna-t-il à ses hommes de faire ce que demandait Merlin. Et c'est vrai qu'après avoir creusé assez profondément, ils trouvèrent un étang souterrain qui s'étendait sous l'endroit où ils avaient essayé de construire le château.

Merlin quitta le bord de l'excavation et s'en revint vers les sages conseillers du roi. « Maintenant, dites-nous ce qui se cache sous ces eaux sombres », exigea-t-il.

Les sages n'osèrent prononcer un seul mot. Ils n'avaient aucune idée de ce que cachait la nappe d'eau, et ils craignaient ce vieillard barbu qui semblait savoir tant de choses qu'ils ignoraient.

Alors Merlin parla à nouveau au roi: " Dis à tes hommes de creuser des tranchées pour drainer cette mare, lui demanda-t-il. Au fond, tu trouveras deux dragons - l'un blanc, l'autre rouge. Pendant la journée, ces deux monstres dorment tranquillement, mais chaque soir ils se réveillent et se battent, faisant ainsi trembler le sol, et c'est pourquoi ton château s'écroule."

Quand la mare eut été entièrement vidée, on trouva les deux dragons, le rouge et le blanc, comme l'avait annoncé Merlin. Vortigern comprit que Merlin possédait une science beaucoup plus grande que celle des mages en qui il avait eu confiance jusque là. Il le questionna sur l'avenir.

« Le dragon blanc représente les Saxons, le rouge les Bretons, répondit Merlin. Ils se battront en un mortel combat jusqu'à ce qu'un des deux l'emporte.

- Et moi, que m'arrivera-t-il, demanda Vortigern ? »

Merlin n'avait rien de bon à lui annoncer.

« Tu as fait beaucoup de mal, maintenant le malheur s'abat sur toi. Les fils de Constantin, Aurélius et Uther sont sur le point de revenir d'exil pour venger leur père et reprendre leur royaume. Aurélius régnera très peu de temps, et son frère Uther lui succédera sur le trône. Après Uther viendra un roi plus grand que tous ceux qui ont régné ou régneront sur la Bretagne. »

Vortigern, terrifié par ces prédictions, s'enfuit avec ses troupes vers un autre de ses châteaux, dans la montagne. Il le fortifia du mieux qu'il put, pour tenter de se protéger du sort annoncé par Merlin. Mais Aurélius et Uther, les fils de Constantin, marchèrent contre lui à la tête d'une immense armée et incendièrent son château. Vortigern périt dans les flammes.

Aurélius s'attaqua alors aux Saxons qui ravageaient la campagne, brûlant les églises et terrorisant la population. Il lui fallut livrer de nombreuses batailles avant de parvenir à les vaincre. 

Les chevaliers décidèrent de faire d'Aurélius leur roi. Avant d'accepter la couronne, le prince voulut ériger un monument à la mémoire de tous les braves guerriers tués en combattant les païens nordiques.

« je vais d'abord reconstruire tous les monastères et églises détruits par l'ennemi, déclara-t-il. Cela fait, j'élèverai un monument qui durera jusqu'à la fin des temps. »

La tâche était énorme et Aurélius demanda l'aide de Merlin. Quand l'Enchanteur apprit ce que désirait Aurélius, il parla de certaines pierres d'Irlande qui lui semblaient parfaitement convenir pour un monument destiné à durer jusqu'à la fin des temps.

« Il y a très longtemps, en Irlande, raconta Merlin, un géant voulut dresser un cercle de pierres. Il alla chercher en Afrique des blocs qu'il ramena lui-même. Ils sont si énormes qu'un homme ordinaire ne peut remuer une seule d'entre elles.

- Dans ce cas, comment pourrions-nous les rapporter chez nous ? demanda Aurélius. Et pourquoi aurions-nous besoin de pierres d'Irlande alors qu'il y en a tant dans notre pays ?

- Parce que nous n'avons rien ici qui leur ressemble, lui expliqua Merlin. Ce sont des pierres magiques. Si un malade se baigne dans de l'eau qui a ruisselé sur ces pierres, il recouvre la santé. Il n'existe nulle part au monde de pierres qui feront un aussi parfait monument à ceux qui sont morts pour la liberté de notre pays. »

Les chevaliers étaient impatients de partir chercher ces pierres merveilleuses. On prépara les navires et Uther, le frère du roi, reçut le commandement de la flotte. Merlin s'embarqua avec lui.

Quand les vaisseaux arrivèrent en Irlande et que les Irlandais apprirent pourquoi venaient les Bretons, ils les bombardèrent à coups de pierres. Ces pierres, disaient-ils, seraient les seules que les envahisseurs pourraient emporter dans leur pays. Mais quand Uther et ses chevaliers marchèrent sur eux, les Irlandais s'enfuirent. Merlin ouvrit aux Bretons le chemin des montagnes du Kildare, au sommet desquelles s'élevait le fameux monument.

Les Bretons n'avaient jamais vu de pierres d'une telle taille, et ils les contemplaient en se demandant comment ils allaient pouvoir leur faire traverser la mer. Mais Merlin soumit les gigantesques blocs à un de ses enchantements et ils devinrent soudain aussi légers que des galets. Les chevaliers purent alors les soulever sans peine et les charger sur les bateaux.

La flotte appareilla pour la Bretagne et, quand les troupes débarquèrent, les pierres furent emportées vers le champ de bataille où tant de braves avaient été tués par les maudits envahisseurs. Une fois les blocs mis en place, la magie de Merlin cessa d'agir, et ils redevinrent si lourds qu'aucun homme n'aurait pu déplacer même le plus petit d'entre eux.

Aurélius revint de Londres pour la cérémonie par laquelle le monument fut dédié à la mémoire de ceux qui étaient tombés dans cette plaine. Puis on prépara une grande fête pour célébrer le couronnement d'Aurélius.

Tout ceci est arrivé il y a si longtemps que personne ne sait plus comment cela s'est exactement passé. Mais au sud de l'Angleterre, dans la plaine de Salisbury, près de la ville de Winchester, on voit aujourd'hui encore un cercle de pierres gigantesque ; il s'appelle Stonehenge. Certains disent que ce sont là les pierres magiques que Merlin a ramenées d'Irlande pour élever, suivant le désir d'Aurélius, un monument qui durerait jusqu'à la fin des temps.


PERHAM, Molly, Le Roi Arthur & Les légendes de la Table Ronde, Coop Breizh, 1996.

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