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Un vent de révolte
Ecrit par Micheline Boland

 

Jean-Denis n'en croit pas ses yeux. Là devant lui, au retour de la messe de minuit, les santons sont dispersés dans tout le salon. Il en trouve dans les endroits les plus surprenants. La marchande de poissons est près de l'aquarium. Le vieux menuisier est près du radiateur. Le berger qui a le bras en écharpe se tient couché sur le divan. La jeune fermière trône derrière l'enfant Jésus. La Vierge et Saint Joseph sont là où Jean-Denis les avait placés, mais on dirait que leur regard se porte plus sur la jeune fille que sur l'enfant.

Jean-Denis se demande bien comment le chat qui était seul dans la maison durant l'office a pu réaliser une telle mise en scène. Il a beau appeler "Syphon" sur tous les tons, l'animal ne se montre pas.

Jean-Denis a tôt fait de remettre les choses à leur place. Il tient à ce que tout soit impeccable quand ses parents et sa sœur arriveront à midi pour fêter Noël dans son nouvel appartement.

Quand il va faire un brin de toilette avant de se coucher, il découvre Syphon endormi sur la carpette de la salle de bain. Il entrouvre à peine un œil quand son maître fait couler l'eau dans le lavabo. Je ne vais pas le punir un si beau jour, se dit Jean-Denis. Il laisse l'animal là où il l'a trouvé, puis rejoint son lit.

Jean-Denis dort paisiblement quand il se réveille soudain vers trois heures du matin alerté par des voix. Ce sont sans doute les invités des voisins qui s'en vont, pense-t-il tandis qu'il reprend une position bien confortable et se rendort tout aussitôt.

Le matin, avec après avoir pris une bonne douche et mangé un délicieux cougnou, il va allumer le téléviseur qui se trouve dans le salon pour pouvoir écouter des chants traditionnels de Noël diffusés à cette heure-là. De sa cuisine, il entendra les cantiques tandis qu'il préparera le repas, imagine-t-il. En pénétrant dans le salon, il découvre que de nouveau les santons ont changé de place. Cette fois le berger qui a toujours le bras en écharpe se tient près des plis de la jupe de la Vierge, semblant implorer sa protection. Le rémouleur est posté sur le téléviseur d'où il observe tout ce qui se passe dans la pièce. Le vigneron est près de lui et paraît cramponné à son bras. Le tisserand et le vieux menuisier sont quant à eux sur la table. Un jeune berger aux boucles blondes est penché sur l'enfant Jésus. Le curé est appuyé contre Saint Joseph, prêt, dirait-on, à agir à sa place.

Syphon est installé sur le tapis chinois. Il dort comme à son habitude. Cette fois, Jean-Denis le réveille, le houspille, l'envoie d'une légère claque sur le dos dans le couloir.

De nouveau, Jean-Denis range tous les petits personnages avant de rejoindre la cuisine.

Bientôt les voix des chanteurs sont couvertes par des bruits. Ce sont des cris perçants, des rires aigus, des propos graves puis encore des espèces de hurlements.

En pénétrant dans le salon, Jean-Denis aperçoit la jeune fermière qui gesticule sur le fauteuil en s'époumonant à faire passer des considérations de préséance quant à la position de chacun par rapport à l'enfant Jésus. Les autres bougent, répliquent. Tous les autres sauf le jeune berger bouclé qui ne semble pas voir et entendre tout ce remue-ménage.

Jean-Denis a bien envie d'intervenir mais il se sent tellement différent d'eux qu'il n'a pas l'audace de le faire. Il se retire sur la pointe des pieds. Il se souvient alors qu'à l'intérieur de la boîte destinée aux santons qui se trouve quasi-vide dans sa chambre, il a laissé une vieille paysanne dont la jambe était cassée. Il va la chercher et la pose discrètement à l'entrée du salon. Les premières minutes rien ne se passe, puis il voit le petit personnage qui se déplace et l'entend qui murmure : "Cessez donc de vous disputer. L'important c'est d'être ici, tous ensemble. Peu importe la place, le rang. Il est venu pour vous comme pour moi, alors pourquoi vouloir se placer à un endroit plutôt qu'à un autre" ? tandis qu'elle va d'un pas mal assuré rejoindre le jeune berger bouclé.

Jean-Denis observe que le silence se fait, que chacun rejoint l'endroit que lui-même lui avait attribué.

Il peut alors dans sa cuisine continuer à farcir la dinde tout en appréciant les jolis cantiques.

 

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