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La Pêche d'Ysengrin

C'était un peu avant Noël, au temps où l'on prépare les salaisons. Précisément cette nuit, Ysengrin le loup voulait faire une grasse provision de poissons pour l'hiver : et voilà que l'étang était gelé ! Ysengrin, très perplexe, s’assit sur le rivage, en se grattant l'oreille de sa griffe.
Renart vint à passer, et à l'instant, le tira d'embarras.
- Voyez, mon compère, la glace est brisée de ce côté. Quelques vilains sans doute y ont mené leurs bêtes. Ils y auront laissé ce seau : tout ce qu'il nous faut pour pêcher force anguilles et goujons !
- Frère Renart, dit Ysengrin, vous dites vrai. Je vous prie, attachez-moi ce seau à la queue.
Renart le mène au bord de l'eau, et le lui noue, en effet - du mieux qu'il peut, je vous l'assure.
- Surtout, mon frère, ne bougez pas, ajoute-t-il, car vous feriez fuir les poissons.
Puis il va se cacher derrière un buisson. Ysengrin reste immobile et ferme au poste.
Le froid de la nuit ne tarde guère à faire prendre de nouveau la glace qu'avaient brisée les paysans : l'eau se met à geler tout autour du seau, qui bientôt se trouve scellé dans la glace... avec la queue qui y est nouée.
Le loup essaye de se soulever, de tirer à lui le seau. Peine perdue ! Il a beau s'efforcer, rien n y fait. Il s'inquiète et appelle Renart, car déjà l'aube paraît et il craint d'être surpris.
- Renart, dit-il, en vérité, il y en a trop. Ils pèsent tant que je ne puis les tirer hors de l'eau !
- Eh ! l'ami, qui trop convoite risque de perdre tout !
Voici l'heure du matin, le soleil se lève. Partout les chemins apparaissent, blancs de neige. C'est le moment où s'éveille messire Constant, le riche métayer qui demeure auprès de l'étang, avec toute sa maisonnée joyeuse. Il sonne du cor, appelle ses chiens, et commande qu'on selle son cheval.
Maître Renart aussitôt court se mettre à l'abri dans sa tanière. Ysengrin, tout seul, reste sur la glace, à tirer et à s'escrimer après ce seau, trop bien scellé vraiment !
Tandis qu'il se débat, un jeune garçon passe non loin de là. Il l'aperçoit et s'effraie :
- À moi ! crie-t-il. Au loup ! À l'aide ! À l'aide !
Les veneurs l'entendent et sortent de la maison avec tous leurs chiens. Voilà Ysengrin bien mal en point ! Constant arrive derrière eux, au grand galop de son cheval.
Les valets de chasse découplent les chiens, ils s'attaquent au loup qui se hérisse et se met en défense. Les veneurs excitent leurs bêtes, et Ysengrin se bat de son mieux, jouant des dents, puisqu'il n'a d'autre ressource. Certes, il aimerait mieux faire la paix ! Sire Constant a tiré l’épée et, pour mieux le frapper, descend à pied au milieu de la glace. Il l'attaque par-derrière : son coup a manqué, il glisse et tombe à la renverse. Blessé, il se relève à grand-peine, mais, plein d'ardeur, retourne à la lutte : c'est là un fier combat !
Le second coup ne lui est guère plus favorable : il a voulu frapper la tête - son épée glisse, et c'est la queue qu'il lui a coupée tout au ras ! Voilà Ysengrin délivré. D'un bond, il s'écarte de ses ennemis. Puis il leur fait face et ne les quitte pas sans leur avoir laissé à chacun une cruelle morsure.
Hélas ! en gage, il leur a laissé sa queue. De chagrin, il souffre et se désole : peu s’en faut que son coeur ne crève de douleur !
Maintenant, il n'y peut rien. Il s'enfuit droit vers les bois à toute allure. Il échappe aux chiens, qui sont las et épuisés de fatigue après la rude bataille. Mais comme il hait Renart qui l'a déshonoré ! Il faudra qu'il se venge.

 

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