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La symbolique du loup en Europe

Sommaire

1. Introduction
2. Le loup "solaire"
3. Le loup "esprit agraire"
4. Le loup "sauvagerie"
5. Le loup "initiation"
5.1. Initiation à la connaissance
5.2. Initiation sexuelle
6. Le loup "maléfique"
7. La louve
8. Analyse

Le loup "initiation"

5.1. L'initiation à la connaissance

Symboliquement, la fonction initiatrice du loup tient principalement dans le caractère dévorant de sa gueule impressionnante.
Se faire avaler par le loup, puis séjourner dans son ventre sombre rappelle la gestation, la retraite du futur initié dans un lieu isolé du quotidien (caverne, chambre fermée, sac, Enfers...) pour y subir une mort provisoire, étape indispensable à sa re?naissance ultérieure. La mythologie scandinave décrit le loup Fenrir comme un dévorateur d'astres; il engloutit chaque soir le soleil pour le rendre au matin, et cette inlassable chasse recommence à l'infini, condition sine qua non de l'alternance jour/nuit, vie/mort.
Etre délivré du ventre du loup signifie de ce fait renaître à la lumière, franchir un cap, évoluer, savoir. Le séjour initiatique aboutit toujours à la transformation de la personnalité qui l'a subi . La plupart des rites de passage de l'enfance à l'adolescence (comme la pratique catholique de retraite avant communion) nous en fournissent maints exemples. Quant au Chaperon Rouge du conte de Grimm, libérée par césarienne du ventre du loup, elle ressort toute resplendissante, a appris la leçon et ne se laissera plus abuser désormais (28).

5.2. L'initiation sexuelle

Dans ce contexte précis, la gueule dévorante du loup prend un sens bien particulier : manger, dévorer son partenaire signifie le posséder, consommer l'acte sexuel. II devient dès lors évident que le loup figure l'amant, le séducteur, le violeur aussi. Demander d'une jeune fille si elle a déjà vu le loup, c'est s'enquérir de sa virginité et/ou de son degré d'initiation sexuelle. Mais encore s'agit-il de voir le loup son que la cohésion sociale en soit menacée, c'est à dire à l'âge requis et dans les conditions adéquates. C'est pourquoi le loup apparaît si souvent dans des contes de fées mettant en scène des fillettes pré pubères dont la sexualité naissance et encore confuse doit être préservée d'un passage à l'acte trop précoce, mal préparé, et néfaste pour leur évolution sexuelle ultérieure.

Ce souci fortement socialisé s'exprime dans une tradition remontant au Xllle siècle et liée au Cycle de Mai : durant les jours précédant la Nuit de Walpurgis (30 avril-1er mai), des bandes d'adolescents partaient en forêt couper de jeunes arbres (les Mais) pour les planter devant la porte des demoiselles. La sexualité étant encore relativement libre à cette période de l'année, les jeunes filles n'hésitaient pas à accompagner les garçons sur l'herbe douce des sous-bois... Les adultes laissaient faire mais interdisaient fermement aux petites filles d'entrer dans la forêt car elles risquaient d'y voir le loup (d'assister à des scènes trop osées pour leur âge, de s'exposer à des assauts inappropriés).
C'est également ce contrôle protecteur de la vertu des petites filles que prône Charles Perrault dans sa version du Chaperon Rouge (1697); mais il y fait trop explicitement allusion à la recrudescence de crimes sexuels commis sur des enfants. Là où la parole merveilleuse était allusive, il est descriptif...En recomposant le conte autour de sa morale, Perrault modifie la nature même du symbolisme. Plus encore, il la déforce, et l'animal-loup n'est plus qu'un violeur potentiel déguisé en grand-mère mais dont l'identité ne trompe personne.

Plus intéressante que le conte de Perrault au symbolisme affadi, une version orale préexistante du Chaperon Rouge a été largement étudiée par Yvonne Verdier. Son interprétation personnelle du conte montre avec finesse la symbiose entre symbolique sexuelle du loup et statuts sociaux féminins. A la croisée des chemins, la fillette peut choisir celui des épingles ou celui des aiguilles. Son statut de petite fille devrait l'inciter à prendre le premier, mais elle opte pour le second, réservé aux femmes mariées; ce faisant elle néglige une importante étape médiane : le statut de jeune fille. Le loup qu'elle rencontre sur sa route symbolise l'angoisse de la fillette devant ses premières menstruations, et principalement devant leurs conséquences : plus encore que le premier partenaire, le loup représente surtout les rencontres et les changements de vie occasionnés par l'obtention d'un nouveau statut sexuel et social.
Pour perspicace et inédite qu'elle soit, l'étude d'Yvonne Verdier demeure une (passionnante) hypothèse, et l'on pourrait ajouter parmi d'autres car bien des chercheurs et des folkloristes se sont penchés sur ce conte, et leurs conclusions interprétatives diffèrent quelquefois diamétralement. C'est ainsi qu'Elisée Legros qualifie d'élément puéril la distinction entre les deux chemins (épingles et aiguilles), arguant que, selon les variantes des versions orales, l'enfant choisit tantôt l'un, tantôt l'autre. Mais n'est-ce pas évacuer un peu vite cette notion d'alternative qui, vue sous l'angle de la symbolique sexuelle, paraît aussi limpide que le choix entre aiguille/percée et épingle/non percée ? Dans certaines communes de Wallonie, on prétend qu'un mariage sera heureux si la noce rencontre un loup avant de se rendre à l'église : il s'agit bien de voir le loup avant de se marier. A Lierneux la coutume veut aussi que la jeune mariée rende des épingles à une vieille dame venue lui attacher un ruban à l'épaule au sortir de la messe.

 

Le loup "Maléfique"

Peu d'animaux pourraient disputer au loup le triste privilège d'inspirer tant de haine et d'épouvante, jusqu'à notre époque où la menace du Grand Méchant Loup terrorise encore des gamins nés dans le béton des villes. Ceci illustre combien l'essence imaginaire et symbolique d'une peur persiste malgré l'absence de son support concret. Haine et peur du loup naquirent probablement d'un faisceau de causes multiples amalgamant mythologie, christianisme, réalité et fantasmes. Etudier ces causes nous aide à mieux percevoir comment apparaît, dérive ou se perd une connotation symbolique particulière.

- L`homme a toujours viscéralement craint la nuit, qui escamote ses repères familiers. Les monstres et les mystères dont son imaginaire la peuple reflètent (et justifient) cette angoisse. Le loup, prédateur essentiellement nocturne, est donc forcément investi de pouvoirs magiques liés aux ténèbres, ce territoire où l'humain, en position de faiblesse, devient à son tour proie potentielle. Comme la nuit, le loup symbolise donc la mort, l'inconscient, le monde chthonien. Comme le noir (la plupart des images de loups sont noires), le loup s'apparente au chaos, au deuil sans espoir, au Mal.

- Qui dit loup dit hurlement; or ce cri à nul autre pareil a souvent glacé les sangs des hommes, qui ont cru y reconnaître des pleurs désespérés, des souffrances, l'agonie, les plaintes des âmes damnées en enfer...

Une croyance fort répandue veut aussi qu'en hurlant à la mort les loups annoncent l'imminence d'un décès, dès lors chacun redoute d'entendre l'appel d'une meute et rien n'est plus urgent que faire cesser les cris lugubres à coups de prières ou de fusils, avant que se réalise le funeste présage.

On retrouve ici encore l'idée de mort, augmentée du don divinatoire d'en prévoir le moment. Connaître son heure fatale n'est?il pas un des pires fantasmes que l'esprit humain ait produit ? Désireux de maintenir par la force son monopole déjà gravement compromis par les guerres de religion, le catholicisme de l'Inquisition (milieu XVIe?milieu XVlle s.) diabolisa de nombreuses croyances héritées des très anciennes mythologies indo?européennes. Loup et loup?garou, qui y occupaient une large place, subirent alors un glissement de leur contenu symbolique vers des contre?valeurs péjoratives : pour les médiévaux le loup?garou était encore un sur?doué, un être ayant reçu de l'Au?delà les dons de métamorphose et de dédoublement, en liaison étroite avec le cycle des Douze Jours du Solstice d'hiver. Un siècle d'Inquisition va le transformer en démon, sorcier malfaisant, créature de Satan.

? Nos sociétés restèrent longtemps agropastorales. Dans un fiel contexte socio?économique et culturel, l'importance et l'attention accordées aux troupeaux sont considérables. Le berger, gardien d'un précieux capital, joue malgré son humble condition un rôle primordial tant dans la vie réelle que l'imaginaire collectif. II a inspiré l'iconographie du Christ Bon Pasteur, entouré d'agneaux figurant le peuple chrétien, avec toute la symbolique de pureté et de protection des innocents que cette référence implique. Et quelle est donc la hantise du berger et du troupeau ? Le loup, qui devient de ce fait l'ennemi de Jésus et de son peuple, c'est à dire Satan lui?même, toujours à l'affût d'une âme tendre à croquer. Nombre d'images pieuses montrent d'ailleurs le Christ gardant sous sa protection des agneaux (ou des enfants) qu'un grand loup noir n'ose approcher, mais qu'il convoite à respectable distance.

La Louve

La palette de ses interprétations symboliques apparaît moins chatoyante que celle de son compère masculin. Elle n'est guère héroïne de contes de fées ou de légendes, et on l'évoque moins pour sa férocité sanguinaire que pour son instinct maternel réputé exemplaire aux yeux de l'homme (défendre ses enfants comme une louve ou comme une tigresse). Les récits abondent dans ce sens en nous présentant des bébés perdus ou abandonnés en forêt puis allaités et élevés par une louve avec ses propres petits. Romulus et Rémus nous en fournissent le plus célèbre exemple, qui illustre à merveille l'idée de la louve symbole de fécondité, fondatrice, nourricière et profondément liée au monde terrestre régi par la Grande Mère Gaia.
La louve ne revêt pas comme le loup un caractère solaire d'astre dévorant : elle en est la complémentarité, car sa nature éminemment féminine la rapproche de la Lune, astre croissant et décroissant lié aux rythmes vivants, menstruels (la lune parcourt le Zodiaque en 28 jours), à l'inconscient (rêves), à la sensibilité, à l'inspiration, et à tout ce qui évoque la puissance créatrice de Gaïa.

 

Analyse

A la lecture des pages qui précèdent, on ne manque pas d'être surpris par la richesse et la complexité de la personnalité symbolique du loup, dont tous les aspects s'interpénètrent en se faisant mutuellement écho. Une telle diversité de significations issues d'une même image de départ pourrait en désorienter certains, les laisser perplexes ou incrédules. C'est que trois siècles de cartésianisme nous ont sans relâche formés à rationaliser les choses, à privilégier l'alternative d'exclusion (bon ou mauvais, obscur ou clair) au détriment de la nuance. Mais appliquer cette froide logique au symbole, ne lui autoriser qu'une seule juste interprétation claire et définitive, serait se tromper de discipline : la symbolique n'est pas une science exacte aux données millimétrables. Elle évolue dans un plan parallèle : celui des émotions, de l'inconscient collectif, du psychisme, de la fiction.
Le propre du symbole consiste à concentrer, dans une seule icône, des expressions multiples, divergentes, voire conflictuelles. Ouvert et polyvalent, il laisse cohabiter les extrêmes sans manichéisme, dans un incessant dialogue entre l'unique et le pluriel. Les interprétations possibles n'ont rien à gagner d'une hiérarchisation : toutes coexistent car toutes doivent leur création à un besoin précis.
Sociologie et psychanalyse ne suscitent plus les railleries de leurs débuts; on les respecte aujourd'hui comme des disciplines à part entière, des sciences humaines. Leur champ d'investigation inclut largement les images que nous véhiculons consciemment ou non. La symbolique se voit de ce fait (re)valorisée auprès des chercheurs comme du grand public; elle n'est plus seulement l'apanage de mystiques un brin farfelus.

A bien y réfléchir, la personnalité symbolique du loup ressemble fort à la psychologie complexe des humains qui l'ont créée : ne possédons?nous pas également plusieurs visages qui se révèlent ou se voilent au gré des circonstances? Appelons?les Yin/Yang, féminin/masculin, ange/démon ou Dr Jekyll/Mr Hyde... qu'importe : ils vivent en nous en plus ou moins bonne harmonie. Bref, le loup serait-il un homme pour l'homme, et tellement homme quelquefois qu'il en deviendrait effrayant ? ...

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