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L'Arrivée des Dieux

Quelle sorte d'île est-ce donc
Que celle où vent et mer sauvage ne font qu'un
Et se jettent puissamment sur les rocs,
Où le faucon monte la garde jour et nuit
Où le taureau combat dans la lumière du matin
Et vainc sept de ses rivaux,
Où, telle une flèche, le saumon jaillit des ondes,
Où les roses brillent sous le feu du soleil,
Et où seuls les dieux se soumettent ?



Depuis les temps anciens, cette île a porté pas moins de quatorze noms. Elle fut dite Terre des forêts, car en trois occasions des pousses vertes parurent sur les arbres alors que la terre était devenue stérile. Elle devint ensuite Inis Ealga, ce qui signifie Terre des nobles ; mais son nom changea rapidement pour devenir Terre du bout du monde, puis Champ du destin. Elle finit par prendre le nom des dieux ou des peuples qui s'y installèrent : elle est aujourd'hui Érin en l'honneur de l'immortelle déesse, et Irlande en l'honneur d'Ir, premier mortel qui y fut enterré.
Mais n'anticipons pas.
La verte Érin fut la première île à sortir de l'océan, tourbillon tumultueux lui-même issu de la profondeur du jour et de la nuit ; tel un poing puissant, elle percuta les flots et éleva vers le ciel des falaises tailladées qui résistèrent aux vagues hostiles jusqu'à la venue d'un soleil apaisant.
Qui sait ? C'est peut-être à cet instant que les premiers êtres vivants y posèrent les pieds. Mais ni les filidhs ni les bardes ne sauraient les chanter, car il ne reste d'eux qu'un tumulus nommé Bith. Une fois de plus, l'océan maria ses forces à la nuit afin de rétablir une domination sans pitié. Les tempêtes se suivirent sans relâche, les bourrasques féroces et les lames cinglèrent et inondèrent l'île, arrachèrent les arbres et les plantes, morcelant la terre ; mais jamais elles ne purent atteindre son coeur de roche.
Ainsi, Érin survécut au déluge et le soleil revint. Ses rayons brillèrent sur une terre rocailleuse, désolée, une friche où nulle vie ne subsistait.
À moins que... ici et là paraissent des créatures étranges et terrifiantes, nées de l'obscurité et de la profondeur de l'océan.
Ce sont les Fomoires. Trois cents d'entre eux ont gagné la grève rocheuse en se traînant qui sur une main, qui sur un pied. Et les voilà qui regardent autour d'eux d'un oeil grand ouvert, tandis que l'autre reste caché derrière une paupière close.
Voici des monstres géants à tête de cheval, de taureau ou de bélier. Ils ont un corps d'oiseau, de reptile ou d'être humain... Tout est possible. Ils courent en tous sens et retournent chaque pierre avec curiosité. Ils ont dû se plaire sur les falaises de la côte, car ils ont laissé dans les rochers d'immenses et éternelles traces de pas.
La friche ne les intéresse guère. Qu'offre-t-elle qui se dévore, se cueille ou se détruise ? Les rocs ne les passionnent pas davantage. Alors, sur un signe de leur chef Cichol, certains Fomoires s'évanouissent comme des ombres dans l'eau verte des grottes, des crevasses et des ravins.
Mais les autres prennent la direction de la petite île Tory, dans une baie d'Érin où brille le soleil de minuit. Certains trouvent le repos sur les falaises abruptes qui s'y dressent comme des tours fortifiées. D'autres préfèrent attendre dans les profondeurs de l'océan. Et, une fois encore, le calme de l'île n'est plus troublé que par les rafales et les déferlantes, jusqu'à ce que la mer dépose à terre la première graine ; jusqu'à ce que le premier poisson s'y aventure ; jusqu'à ce que le premier oiseau plane au-dessus...
Moins de trois cents ans s'étaient écoulés depuis le Déluge et, d'après certains bardes, le monde avait exactement mille neuf cent quatre-vingt-sept ans quand les nobles navires du divin Partholón touchèrent la côte irlandaise.
Partholón, fils de Sera, fils de Sru, fils d'Esras, fils de Pramant, fils de Fathacht, fils de Magog, fils de Jephthah, fit venir de l'autre monde, c'est-à-dire du royaume de Bilé, dieu de la Mort, quatre couples divins chargés de redonner vie à l'île. Ce n'est pas par hasard que cela eut lieu le premier jour de mai : c'est le jour de l'au-delà, le jour de la fête de Beltaine, le jour où la mort cède la place au renouveau.
Les envoyés de Partholón ne trouvèrent que trois lacs et neuf rivières sur la plaine d'Érin, vierge d'arbres et de végétation. Après quelques années, quelques décennies et quelques siècles, l'île débordait de vie. La plaine était couverte de forêts de chênes, de frênes et de pins où l'air vibrait de gazouillis et de cris d'animaux. Les saumons abondaient dans les rivières et sept nouveaux lacs avaient été percés.
Mais ce n'est pas tout. Le premier, Partholón harnacha un taureau pour labourer la terre. Le premier, il travailla l'or, brassa une excellente bière et soumit ses sujets à la loi.
Les années passaient et le peuple se multipliait, même s'il lui fallait combattre les Fomoires qui, parfois, surgissaient en rampant de leurs cachettes immergées afin de les tourmenter et de les ruiner par tous les moyens. Il était bien rare qu'un sujet de Partholón parvînt à se déplacer seul en sécurité, et nul n'osait approcher le littoral. Les monstres hideux prirent tant d'assurance qu'ils en vinrent à attaquer en plein jour et, s'ils étaient poursuivis, à se contenter de trouver refuge dans le château qu'ils avaient bâti au coeur des falaises de leur îlot.
Un jour, toutefois, il leur arriva malheur. Par défi et vanité, leur chef Cichol le tronc (car il n'avait ni pieds ni mains) mena ses monstres sur la plaine d'Ith dans le but d'y provoquer Partholón. Mais il perdit bientôt son arrogance et sa superbe : à peine les Fomoires avaient-ils assemblé leurs troupes qu'ils se virent chassés vers la mer comme une vulgaire meute de bêtes sauvages par les sujets de Partholón. Ceux qui ne purent fuir furent tués sur la plaine. Cichol lui-même fut l'une des premières victimes.
Dès lors, les Fomoires n'osèrent plus sortir de leurs sombres cachettes quand le jour brillait et, pendant trois cents ans, les dieux purent développer la prospérité d'Érin sans entrave. Mais, par un 1er mai, les cieux s'emportèrent contre le peuple de Partholón. Ils moururent un à un, décimés par une étrange maladie, si foudroyante qu'elle ne laissait pas même à ses victimes le temps de finir une phrase ou de faire un pas : elles s'écroulaient sur le sol sans un souffle. Bientôt, des dizaines, des centaines de martyrs tombèrent. Une semaine plus tard, alors que seuls quelques-uns des milliers de sujets de Partholón étaient encore vivants, les rescapés se rassemblèrent pour aller mourir sur le Mag Sen, cette vieille plaine dont les ancêtres avaient fait, en la labourant, le premier champ fertile de la verte Érin. C'était l'ultime lieu où les survivants pouvaient à leur aise inhumer les victimes de l'épidémie avant de tomber à leur tour. La race divine de Partholón s'éteignit moins d'une semaine plus tard. Elle n'a laissé pour seul souvenir que le mont Tamlech, où la brise légère caresse les branches sacrées...

L'île sembla abandonnée pendant quelque temps ; toutefois, même s'ils s'efforçaient de se déplacer subrepticement, les Fomoires étaient toujours là. Au bout de trente ans arriva Nemed, fils d'Agnoman, fils de Pampov et d'autres ancêtres de la tribu de Magog.
Les sujets de Nemed reprirent d'abord le travail abandonné par ceux de Partholón. Ils abattirent assez d'arbres pour éclaircir douze immenses plaines et creusèrent quatre nouveaux lacs. Au début, leur lutte contre les Fomoires fut couronnée de succès et ils remportèrent quatre victoires.
Mais après la dernière de ces batailles, Nemed mourut subitement, ce qui le priva de fêter l'événement avec ses guerriers. À leur tour, ceux-ci moururent les uns après les autres et l'on compta bientôt deux mille corps. La peste qui avait exterminé leurs prédécesseurs revenait à l'attaque !
C'était pour les Fomoires une chance inespérée. Malgré leur isolement, ils savaient parfaitement ce qui se passait chez les dieux de la grande île : ils avaient élevé au coeur des falaises une tour de verre dans laquelle se reflétait toute la terre d'Irlande.
Au lieu de saisir leur chance d'exterminer leurs ennemis sans attendre, les terribles Fomoires forgèrent un plan cruel : réduire les Nemédiens en esclavage ! Ainsi, ils leur firent savoir que, le 1er novembre, jour de la fête de Samain qui marque le début de l'hiver, ils devraient déposer au pied de la tour de verre une rançon constituée des deux tiers de leurs nouveau-nés et des deux tiers de leur production de lait, de beurre et de blé. Les rois fomoires Morc et Connan devaient s'assurer eux-mêmes que le tribut serait dûment déposé. Ils se réjouissaient grandement du désespoir des Nemédiens.
Mais les dieux décidèrent de mettre un terme à leur humiliation. Lorsque vint la fête de Samain, ils se soulevèrent contre les Fomoires au lieu de leur payer le tribut exigé. Ils les attaquèrent à mains nues et Connan fut tué dès les premières minutes de combat. La tour de verre fut brisée, mais ce fut pour les Nemédiens la dernière victoire de la journée.
En effet, les démons se battaient, s'accrochaient à l'ennemi comme d'immenses sangsues noires et gluantes, les jetaient du sommet des falaises dans l'eau mousseuse de l'océan. Comme saisis par de monstrueux tentacules, les Nemédiens disparaissaient un à un sous la surface. Les ogres, certains que la victoire était à eux, clamaient de plus en plus fort leur triomphe prochain.
C'est alors que les cieux intervinrent pour que la race divine ne soit pas réduite à néant. Trente guerriers, fils, petits-fils et arrière petits-fils de Nemed, trouvèrent refuge sur un navire surgi soudain de nulle part. En quelques secondes, comme sous les ordres d'un pilote invisible, l'embarcation se dirigea vers le nord, devint un point à l'horizon et disparut bientôt.
Une fois de plus, les Fomoires régnaient sur la totalité de l'île ; en l'absence d'ennemi à défier, ils se retirèrent dans leur abri sous-marin.
Pendant cent cinquante ans, les vagues, vides et inutiles, balayèrent les rives d'Érin, jusqu'au jour où surgirent de nouveaux navires. Ce n'étaient pas les fiers vaisseaux au long cours à proue et gréement d'or ; ce n'était pas non plus des radeaux en bois. Il s'agissait de onze cent trente curraghs menés par de petites créatures à peau sombre, aux cheveux noirs et drus, dont les yeux sauvages brillaient de mille feux. Était-ce des dieux, des démons ou bien... des hommes ? C'étaient les Fir Bolg.

Lorsqu'ils touchèrent terre, ils se séparèrent en trois groupes dirigés par leurs trois chefs, Fir Bolg, Fir Domnainn et Fir Galiain, et partirent à la découverte de l'île verte.
Ils n'oublièrent pas une seule vallée. Ils arpentèrent le cours des moindres rivières de la source à l'estuaire ou de l'estuaire à la source. Ils n'hésitèrent pas à gravir les collines et à se frayer un chemin dans la moindre forêt ou parmi les broussailles les plus touffues. Érin leur devint rapidement familière. Et, chose curieuse, les Fomoires les laissèrent en paix et ne se montrèrent pas.
Les Fir Bolg retournèrent enfin sur le site où avait commencé leur exploration et le nommèrent Tara. C'est là que, plus tard, les chefs de toute l'île d'Érin se rassemblèrent pour tenir conseil. C'est là que devait reposer le noble trône du roi des Rois.
Après un débat qui dura plusieurs jours et plusieurs nuits, les chefs de clan se mirent d'accord sur la division définitive de l'île verte en cinq provinces. Fir Bolg reçut l'Ulster et Fir Galiain le Leinster, tandis que Fir Domnainn se voyait nommé à la tête de trois régions : le Munster du Nord, le Munster du Sud et le Connacht.
Ils vécurent en paix pendant soixante fois douze solstices. Tout au long de cette période, ils furent sous les ordres de plusieurs rois des Rois. Et, sous le règne du roi Eochaid, une forêt de mâts apparut à l'horizon nord-est.
C'était la flotte de la dernière et plus puissante des divinités qui abordèrent l'île. Membres de la Tuatha dé Danann ou tribu de la déesse Dana, ils surpassaient tous les colons précédents.
Qu'ils soient venus du ciel ou, comme semblent le croire certains bardes, des lointaines îles australes ou septentrionales, il est certain qu'ils venaient de quatre villes magiques nommées Findias, Gorias, Murias et Falias où ils avaient acquis leurs pouvoirs divins et appris à composer des poèmes. Ils amenèrent avec eux à Érin les quatre possessions les plus précieuses au monde : de Findias, l'invincible épée du roi Nuada, à laquelle nul ne peut échapper ou survivre ; de Gorias, la lance magique qui trouve toujours sa cible, rayon du dieu solaire Lug ; de Murias, le chaudron magique qui nourrit tout homme sans jamais se vider, propriété du dieu protecteur Dagda ; et, de Falias, la Lia Fail ou pierre magique du couronnement, douée d'un pouvoir miraculeux : dès que le roi légitime la touchait, la pierre criait si fort qu'on l'entendait jusque dans les régions les plus lointaines, afin que chacun sache qu'un roi nouveau régnait. Comment s'étonner que la Lia Fail soit devenue l'orgueil de l'île verte ?

La flotte des Dananns atteignit les côtes d'Érin le premier jour de mai, puissant auspice. Un phénomène étonnant se produisit alors : le jour était bel et bien levé, mais la brume matinale se mit à épaissir au lieu de devenir laiteuse comme à l'accoutumée. Dès que le vent de nord-est se mit à souffler, d'étranges taches apparurent, mais quand le vent tourna à l'est, le brouillard se fit plus sombre et devint écarlate. Enfin, au moment où les voiles du navire se gonflèrent sous un souffle venu de sud-ouest, Érin se couvrit d'impénétrables nuages jaunes.
La déesse Morrigane et ses deux soeurs avaient jeté ces nuages pour empêcher les Fir Bolg de voir arriver les Dananns.
Pendant trois jours et trois nuits, les envahisseurs parcoururent l'île d'est en ouest sans être vus ni repérés ; ils semèrent sur leur passage la mort et la dévastation. Quand ils atteignirent le Leinster, le nuage se dissipa et les Fir Bolg découvrirent les Dananns. En toute hâte, le roi Eochaid somma ses guerriers de livrer bataille.
Les Fir Bolg et les Dananns se firent face et marchèrent.
Mais l'air était calme ; on n'entendait encore nul cri de bataille et nul soldat ne se jetait vers l'ennemi. Au contraire, le regard des Fir Bolg était attiré irrésistiblement par les longues lances, pointues comme des aiguilles, que portaient leurs ennemis. Encore plus étonnant, les Dananns eux-mêmes ne pouvaient s'empêcher d'observer les armes de leurs rivaux, encombrantes et sommaires, mais bien plus puissantes et efficaces que les leurs.
Les émissaires des deux camps se rencontrèrent et décidèrent que la bataille n'aurait lieu que lorsque chaque peuple serait équipé d'armes jugées plus adéquates. Toutefois, le roi des Dananns, Nuada, lança d'une voix puissante :
- Depuis trois jours que nous sommes sur l'île d'Érin, nous n'avons perdu aucun homme. Mais vous, nos adversaires, avez vu tomber des centaines et des milliers des vôtres. Acceptez-vous de rester en paix si nous vous laissons la moitié du territoire et gardons l'autre moitié pour nous ?
Le silence régna d'abord, puis Eochaid répondit d'une voix non moins forte :
- Si nous consentons, vous voudrez bientôt occuper toute l'Irlande. Que le combat nous départage !
Et c'est ce qu'il advint. Les deux camps se préparèrent durant cent cinquante jours ; les Dananns avancèrent vers l'ouest et gagnèrent la province de Connacht. Pour eux, la victoire ne faisait aucun doute. Ils avaient brûlé leurs embarcations après avoir touché terre et voulaient conquérir le plus de terrain possible avant la bataille.
Les deux armées se rencontrèrent sur la plaine de Mag Tured et une bataille sans pitié commença.
Par trente fois, les Dananns se lancèrent à l'assaut derrière leurs boucliers flambants et, ardents comme l'éclair, abattirent autant de Fir Bolg qu'ils perdirent des leurs.
Le roi Nuada renvoya alors ses messagers à Eochaid pour lui transmettre cette offre :
- Il est inutile que tant de soldats tombent au combat. Je suggère que nous choisissions chacun dix des nôtres et que nous les laissions se mesurer afin de savoir quelle tribu l'emportera sur l'autre.
Eochaid fut tenté de refuser, car son armée était bien plus nombreuse que celle des Dananns, mais, sur les conseils de ses chefs de clan, il finit par accepter. Il leur semblait indubitable qu'ils étaient les plus puissants.
Les Fir Bolg les plus braves livrèrent combat aux plus braves des dieux sur la plaine de Mag Tured pendant quatre longs jours et quatre longues nuits. La bataille fut cruelle mais honorable, car les Dananns n'eurent pas recours à leurs armes magiques, la lance de Lug et l'épée de Nuada. L'issue du combat resta longtemps incertaine : tant que ni l'un ni l'autre des rois ne souffrait de blessure, les deux camps ne pouvaient être départagés.
Le quatrième jour, dès le lever du soleil, les Fir Bolg attaquèrent avec une force et une fureur nouvelles. D'un unique et puissant coup d'épée, Sreng le courageux trancha la main du roi Nuada. Les Dananns prirent peur et sonnèrent la retraite.
Mais Nuada lui-même les arrêta. Il saignait beaucoup et perdait rapidement des forces, mais il se jeta une nouvelle fois dans la lutte. Et, alors que les armes s'entrechoquaient, alors que les corps des soldats s'élevaient comme des ombres parmi des nuages de poussière, alors que les cris de bataille résonnaient dans l'île tout entière, le roi Eochaid tomba.

Les chants des bardes ne disent pas qui l'a tué ; les guerriers eux-mêmes ne le surent peut-être pas. Mais, lorsqu'ils virent leur souverain inanimé sur le sol, les Fir Bolg se dispersèrent dans la confusion. Il fallut au roi Nuada bien des efforts pour les arrêter :
- Ne prenez pas la fuite ! leur cria-t-il. Nous ne vous abattrons pas. Vous nous avez livré bataille honorablement, comme il sied à de nobles soldats ; cela vous donne le droit de rester à Érin. Choisissez l'une des cinq provinces de l'île.
Sreng fut le premier à s'immobiliser et, la tête fléchie en signe de soumission, mais non de peur, il répondit :
- Donnez-nous cette province où nous avons mené combat. Donnez-nous le Connacht !
Nuada consentit. Il se chargea d'éloigner lui-même les dieux qui dépendaient de ses ordres et, le soir venu, il ne restait plus un seul Danann dans le Connacht.
Voilà pourquoi, aujourd'hui encore, les gens du Connacht se réclament fièrement de l'héroïque Sreng, leur ancêtre.

Ainsi prend fin la bataille de Mag Tured,
Ainsi commence le règne des Dananns sur l'Irlande...Quelle sorte d'île est-ce donc
Que celle où vent et mer sauvage ne font qu'un
Et se jettent puissamment sur les rocs,
Où le faucon monte la garde jour et nuit
Où le taureau combat dans la lumière du matin
Et vainc sept de ses rivaux,
Où, telle une flèche, le saumon jaillit des ondes,
Où les roses brillent sous le feu du soleil,
Et où seuls les dieux se soumettent ?
Depuis les temps anciens, cette île a porté pas moins de quatorze noms. Elle fut dite Terre des forêts, car en trois occasions des pousses vertes parurent sur les arbres alors que la terre était devenue stérile. Elle devint ensuite Inis Ealga, ce qui signifie Terre des nobles ; mais son nom changea rapidement pour devenir Terre du bout du monde, puis Champ du destin. Elle finit par prendre le nom des dieux ou des peuples qui s'y installèrent : elle est aujourd'hui Érin en l'honneur de l'immortelle déesse, et Irlande en l'honneur d'Ir, premier mortel qui y fut enterré.
Mais n'anticipons pas.
La verte Érin fut la première île à sortir de l'océan, tourbillon tumultueux lui-même issu de la profondeur du jour et de la nuit ; tel un poing puissant, elle percuta les flots et éleva vers le ciel des falaises tailladées qui résistèrent aux vagues hostiles jusqu'à la venue d'un soleil apaisant.
Qui sait ? C'est peut-être à cet instant que les premiers êtres vivants y posèrent les pieds. Mais ni les filidhs ni les bardes ne sauraient les chanter, car il ne reste d'eux qu'un tumulus nommé Bith. Une fois de plus, l'océan maria ses forces à la nuit afin de rétablir une domination sans pitié. Les tempêtes se suivirent sans relâche, les bourrasques féroces et les lames cinglèrent et inondèrent l'île, arrachèrent les arbres et les plantes, morcelant la terre ; mais jamais elles ne purent atteindre son coeur de roche.
Ainsi, Érin survécut au déluge et le soleil revint. Ses rayons brillèrent sur une terre rocailleuse, désolée, une friche où nulle vie ne subsistait.
À moins que... ici et là paraissent des créatures étranges et terrifiantes, nées de l'obscurité et de la profondeur de l'océan.
Ce sont les Fomoires. Trois cents d'entre eux ont gagné la grève rocheuse en se traînant qui sur une main, qui sur un pied. Et les voilà qui regardent autour d'eux d'un oeil grand ouvert, tandis que l'autre reste caché derrière une paupière close.
Voici des monstres géants à tête de cheval, de taureau ou de bélier. Ils ont un corps d'oiseau, de reptile ou d'être humain... Tout est possible. Ils courent en tous sens et retournent chaque pierre avec curiosité. Ils ont dû se plaire sur les falaises de la côte, car ils ont laissé dans les rochers d'immenses et éternelles traces de pas.
La friche ne les intéresse guère. Qu'offre-t-elle qui se dévore, se cueille ou se détruise ? Les rocs ne les passionnent pas davantage. Alors, sur un signe de leur chef Cichol, certains Fomoires s'évanouissent comme des ombres dans l'eau verte des grottes, des crevasses et des ravins.
Mais les autres prennent la direction de la petite île Tory, dans une baie d'Érin où brille le soleil de minuit. Certains trouvent le repos sur les falaises abruptes qui s'y dressent comme des tours fortifiées. D'autres préfèrent attendre dans les profondeurs de l'océan. Et, une fois encore, le calme de l'île n'est plus troublé que par les rafales et les déferlantes, jusqu'à ce que la mer dépose à terre la première graine ; jusqu'à ce que le premier poisson s'y aventure ; jusqu'à ce que le premier oiseau plane au-dessus...
Moins de trois cents ans s'étaient écoulés depuis le Déluge et, d'après certains bardes, le monde avait exactement mille neuf cent quatre-vingt-sept ans quand les nobles navires du divin Partholón touchèrent la côte irlandaise.
Partholón, fils de Sera, fils de Sru, fils d'Esras, fils de Pramant, fils de Fathacht, fils de Magog, fils de Jephthah, fit venir de l'autre monde, c'est-à-dire du royaume de Bilé, dieu de la Mort, quatre couples divins chargés de redonner vie à l'île. Ce n'est pas par hasard que cela eut lieu le premier jour de mai : c'est le jour de l'au-delà, le jour de la fête de Beltaine, le jour où la mort cède la place au renouveau.
Les envoyés de Partholón ne trouvèrent que trois lacs et neuf rivières sur la plaine d'Érin, vierge d'arbres et de végétation. Après quelques années, quelques décennies et quelques siècles, l'île débordait de vie. La plaine était couverte de forêts de chênes, de frênes et de pins où l'air vibrait de gazouillis et de cris d'animaux. Les saumons abondaient dans les rivières et sept nouveaux lacs avaient été percés.
Mais ce n'est pas tout. Le premier, Partholón harnacha un taureau pour labourer la terre. Le premier, il travailla l'or, brassa une excellente bière et soumit ses sujets à la loi.
Les années passaient et le peuple se multipliait, même s'il lui fallait combattre les Fomoires qui, parfois, surgissaient en rampant de leurs cachettes immergées afin de les tourmenter et de les ruiner par tous les moyens. Il était bien rare qu'un sujet de Partholón parvînt à se déplacer seul en sécurité, et nul n'osait approcher le littoral. Les monstres hideux prirent tant d'assurance qu'ils en vinrent à attaquer en plein jour et, s'ils étaient poursuivis, à se contenter de trouver refuge dans le château qu'ils avaient bâti au coeur des falaises de leur îlot.
Un jour, toutefois, il leur arriva malheur. Par défi et vanité, leur chef Cichol le tronc (car il n'avait ni pieds ni mains) mena ses monstres sur la plaine d'Ith dans le but d'y provoquer Partholón. Mais il perdit bientôt son arrogance et sa superbe : à peine les Fomoires avaient-ils assemblé leurs troupes qu'ils se virent chassés vers la mer comme une vulgaire meute de bêtes sauvages par les sujets de Partholón. Ceux qui ne purent fuir furent tués sur la plaine. Cichol lui-même fut l'une des premières victimes.
Dès lors, les Fomoires n'osèrent plus sortir de leurs sombres cachettes quand le jour brillait et, pendant trois cents ans, les dieux purent développer la prospérité d'Érin sans entrave. Mais, par un 1er mai, les cieux s'emportèrent contre le peuple de Partholón. Ils moururent un à un, décimés par une étrange maladie, si foudroyante qu'elle ne laissait pas même à ses victimes le temps de finir une phrase ou de faire un pas : elles s'écroulaient sur le sol sans un souffle. Bientôt, des dizaines, des centaines de martyrs tombèrent. Une semaine plus tard, alors que seuls quelques-uns des milliers de sujets de Partholón étaient encore vivants, les rescapés se rassemblèrent pour aller mourir sur le Mag Sen, cette vieille plaine dont les ancêtres avaient fait, en la labourant, le premier champ fertile de la verte Érin. C'était l'ultime lieu où les survivants pouvaient à leur aise inhumer les victimes de l'épidémie avant de tomber à leur tour. La race divine de Partholón s'éteignit moins d'une semaine plus tard. Elle n'a laissé pour seul souvenir que le mont Tamlech, où la brise légère caresse les branches sacrées...

L'île sembla abandonnée pendant quelque temps ; toutefois, même s'ils s'efforçaient de se déplacer subrepticement, les Fomoires étaient toujours là. Au bout de trente ans arriva Nemed, fils d'Agnoman, fils de Pampov et d'autres ancêtres de la tribu de Magog.
Les sujets de Nemed reprirent d'abord le travail abandonné par ceux de Partholón. Ils abattirent assez d'arbres pour éclaircir douze immenses plaines et creusèrent quatre nouveaux lacs. Au début, leur lutte contre les Fomoires fut couronnée de succès et ils remportèrent quatre victoires.
Mais après la dernière de ces batailles, Nemed mourut subitement, ce qui le priva de fêter l'événement avec ses guerriers. À leur tour, ceux-ci moururent les uns après les autres et l'on compta bientôt deux mille corps. La peste qui avait exterminé leurs prédécesseurs revenait à l'attaque !
C'était pour les Fomoires une chance inespérée. Malgré leur isolement, ils savaient parfaitement ce qui se passait chez les dieux de la grande île : ils avaient élevé au coeur des falaises une tour de verre dans laquelle se reflétait toute la terre d'Irlande.
Au lieu de saisir leur chance d'exterminer leurs ennemis sans attendre, les terribles Fomoires forgèrent un plan cruel : réduire les Nemédiens en esclavage ! Ainsi, ils leur firent savoir que, le 1er novembre, jour de la fête de Samain qui marque le début de l'hiver, ils devraient déposer au pied de la tour de verre une rançon constituée des deux tiers de leurs nouveau-nés et des deux tiers de leur production de lait, de beurre et de blé. Les rois fomoires Morc et Connan devaient s'assurer eux-mêmes que le tribut serait dûment déposé. Ils se réjouissaient grandement du désespoir des Nemédiens.
Mais les dieux décidèrent de mettre un terme à leur humiliation. Lorsque vint la fête de Samain, ils se soulevèrent contre les Fomoires au lieu de leur payer le tribut exigé. Ils les attaquèrent à mains nues et Connan fut tué dès les premières minutes de combat. La tour de verre fut brisée, mais ce fut pour les Nemédiens la dernière victoire de la journée.
En effet, les démons se battaient, s'accrochaient à l'ennemi comme d'immenses sangsues noires et gluantes, les jetaient du sommet des falaises dans l'eau mousseuse de l'océan. Comme saisis par de monstrueux tentacules, les Nemédiens disparaissaient un à un sous la surface. Les ogres, certains que la victoire était à eux, clamaient de plus en plus fort leur triomphe prochain.
C'est alors que les cieux intervinrent pour que la race divine ne soit pas réduite à néant. Trente guerriers, fils, petits-fils et arrière petits-fils de Nemed, trouvèrent refuge sur un navire surgi soudain de nulle part. En quelques secondes, comme sous les ordres d'un pilote invisible, l'embarcation se dirigea vers le nord, devint un point à l'horizon et disparut bientôt.
Une fois de plus, les Fomoires régnaient sur la totalité de l'île ; en l'absence d'ennemi à défier, ils se retirèrent dans leur abri sous-marin.
Pendant cent cinquante ans, les vagues, vides et inutiles, balayèrent les rives d'Érin, jusqu'au jour où surgirent de nouveaux navires. Ce n'étaient pas les fiers vaisseaux au long cours à proue et gréement d'or ; ce n'était pas non plus des radeaux en bois. Il s'agissait de onze cent trente curraghs menés par de petites créatures à peau sombre, aux cheveux noirs et drus, dont les yeux sauvages brillaient de mille feux. Était-ce des dieux, des démons ou bien... des hommes ? C'étaient les Fir Bolg.

Lorsqu'ils touchèrent terre, ils se séparèrent en trois groupes dirigés par leurs trois chefs, Fir Bolg, Fir Domnainn et Fir Galiain, et partirent à la découverte de l'île verte.
Ils n'oublièrent pas une seule vallée. Ils arpentèrent le cours des moindres rivières de la source à l'estuaire ou de l'estuaire à la source. Ils n'hésitèrent pas à gravir les collines et à se frayer un chemin dans la moindre forêt ou parmi les broussailles les plus touffues. Érin leur devint rapidement familière. Et, chose curieuse, les Fomoires les laissèrent en paix et ne se montrèrent pas.
Les Fir Bolg retournèrent enfin sur le site où avait commencé leur exploration et le nommèrent Tara. C'est là que, plus tard, les chefs de toute l'île d'Érin se rassemblèrent pour tenir conseil. C'est là que devait reposer le noble trône du roi des Rois.
Après un débat qui dura plusieurs jours et plusieurs nuits, les chefs de clan se mirent d'accord sur la division définitive de l'île verte en cinq provinces. Fir Bolg reçut l'Ulster et Fir Galiain le Leinster, tandis que Fir Domnainn se voyait nommé à la tête de trois régions : le Munster du Nord, le Munster du Sud et le Connacht.
Ils vécurent en paix pendant soixante fois douze solstices. Tout au long de cette période, ils furent sous les ordres de plusieurs rois des Rois. Et, sous le règne du roi Eochaid, une forêt de mâts apparut à l'horizon nord-est.
C'était la flotte de la dernière et plus puissante des divinités qui abordèrent l'île. Membres de la Tuatha dé Danann ou tribu de la déesse Dana, ils surpassaient tous les colons précédents.
Qu'ils soient venus du ciel ou, comme semblent le croire certains bardes, des lointaines îles australes ou septentrionales, il est certain qu'ils venaient de quatre villes magiques nommées Findias, Gorias, Murias et Falias où ils avaient acquis leurs pouvoirs divins et appris à composer des poèmes. Ils amenèrent avec eux à Érin les quatre possessions les plus précieuses au monde : de Findias, l'invincible épée du roi Nuada, à laquelle nul ne peut échapper ou survivre ; de Gorias, la lance magique qui trouve toujours sa cible, rayon du dieu solaire Lug ; de Murias, le chaudron magique qui nourrit tout homme sans jamais se vider, propriété du dieu protecteur Dagda ; et, de Falias, la Lia Fail ou pierre magique du couronnement, douée d'un pouvoir miraculeux : dès que le roi légitime la touchait, la pierre criait si fort qu'on l'entendait jusque dans les régions les plus lointaines, afin que chacun sache qu'un roi nouveau régnait. Comment s'étonner que la Lia Fail soit devenue l'orgueil de l'île verte ?

La flotte des Dananns atteignit les côtes d'Érin le premier jour de mai, puissant auspice. Un phénomène étonnant se produisit alors : le jour était bel et bien levé, mais la brume matinale se mit à épaissir au lieu de devenir laiteuse comme à l'accoutumée. Dès que le vent de nord-est se mit à souffler, d'étranges taches apparurent, mais quand le vent tourna à l'est, le brouillard se fit plus sombre et devint écarlate. Enfin, au moment où les voiles du navire se gonflèrent sous un souffle venu de sud-ouest, Érin se couvrit d'impénétrables nuages jaunes.
La déesse Morrigane et ses deux soeurs avaient jeté ces nuages pour empêcher les Fir Bolg de voir arriver les Dananns.
Pendant trois jours et trois nuits, les envahisseurs parcoururent l'île d'est en ouest sans être vus ni repérés ; ils semèrent sur leur passage la mort et la dévastation. Quand ils atteignirent le Leinster, le nuage se dissipa et les Fir Bolg découvrirent les Dananns. En toute hâte, le roi Eochaid somma ses guerriers de livrer bataille.
Les Fir Bolg et les Dananns se firent face et marchèrent.
Mais l'air était calme ; on n'entendait encore nul cri de bataille et nul soldat ne se jetait vers l'ennemi. Au contraire, le regard des Fir Bolg était attiré irrésistiblement par les longues lances, pointues comme des aiguilles, que portaient leurs ennemis. Encore plus étonnant, les Dananns eux-mêmes ne pouvaient s'empêcher d'observer les armes de leurs rivaux, encombrantes et sommaires, mais bien plus puissantes et efficaces que les leurs.
Les émissaires des deux camps se rencontrèrent et décidèrent que la bataille n'aurait lieu que lorsque chaque peuple serait équipé d'armes jugées plus adéquates. Toutefois, le roi des Dananns, Nuada, lança d'une voix puissante :
- Depuis trois jours que nous sommes sur l'île d'Érin, nous n'avons perdu aucun homme. Mais vous, nos adversaires, avez vu tomber des centaines et des milliers des vôtres. Acceptez-vous de rester en paix si nous vous laissons la moitié du territoire et gardons l'autre moitié pour nous ?
Le silence régna d'abord, puis Eochaid répondit d'une voix non moins forte :
- Si nous consentons, vous voudrez bientôt occuper toute l'Irlande. Que le combat nous départage !
Et c'est ce qu'il advint. Les deux camps se préparèrent durant cent cinquante jours ; les Dananns avancèrent vers l'ouest et gagnèrent la province de Connacht. Pour eux, la victoire ne faisait aucun doute. Ils avaient brûlé leurs embarcations après avoir touché terre et voulaient conquérir le plus de terrain possible avant la bataille.
Les deux armées se rencontrèrent sur la plaine de Mag Tured et une bataille sans pitié commença.
Par trente fois, les Dananns se lancèrent à l'assaut derrière leurs boucliers flambants et, ardents comme l'éclair, abattirent autant de Fir Bolg qu'ils perdirent des leurs.
Le roi Nuada renvoya alors ses messagers à Eochaid pour lui transmettre cette offre :
- Il est inutile que tant de soldats tombent au combat. Je suggère que nous choisissions chacun dix des nôtres et que nous les laissions se mesurer afin de savoir quelle tribu l'emportera sur l'autre.
Eochaid fut tenté de refuser, car son armée était bien plus nombreuse que celle des Dananns, mais, sur les conseils de ses chefs de clan, il finit par accepter. Il leur semblait indubitable qu'ils étaient les plus puissants.
Les Fir Bolg les plus braves livrèrent combat aux plus braves des dieux sur la plaine de Mag Tured pendant quatre longs jours et quatre longues nuits. La bataille fut cruelle mais honorable, car les Dananns n'eurent pas recours à leurs armes magiques, la lance de Lug et l'épée de Nuada. L'issue du combat resta longtemps incertaine : tant que ni l'un ni l'autre des rois ne souffrait de blessure, les deux camps ne pouvaient être départagés.
Le quatrième jour, dès le lever du soleil, les Fir Bolg attaquèrent avec une force et une fureur nouvelles. D'un unique et puissant coup d'épée, Sreng le courageux trancha la main du roi Nuada. Les Dananns prirent peur et sonnèrent la retraite.
Mais Nuada lui-même les arrêta. Il saignait beaucoup et perdait rapidement des forces, mais il se jeta une nouvelle fois dans la lutte. Et, alors que les armes s'entrechoquaient, alors que les corps des soldats s'élevaient comme des ombres parmi des nuages de poussière, alors que les cris de bataille résonnaient dans l'île tout entière, le roi Eochaid tomba.

Les chants des bardes ne disent pas qui l'a tué ; les guerriers eux-mêmes ne le surent peut-être pas. Mais, lorsqu'ils virent leur souverain inanimé sur le sol, les Fir Bolg se dispersèrent dans la confusion. Il fallut au roi Nuada bien des efforts pour les arrêter :
- Ne prenez pas la fuite ! leur cria-t-il. Nous ne vous abattrons pas. Vous nous avez livré bataille honorablement, comme il sied à de nobles soldats ; cela vous donne le droit de rester à Érin. Choisissez l'une des cinq provinces de l'île.
Sreng fut le premier à s'immobiliser et, la tête fléchie en signe de soumission, mais non de peur, il répondit :
- Donnez-nous cette province où nous avons mené combat. Donnez-nous le Connacht !
Nuada consentit. Il se chargea d'éloigner lui-même les dieux qui dépendaient de ses ordres et, le soir venu, il ne restait plus un seul Danann dans le Connacht.
Voilà pourquoi, aujourd'hui encore, les gens du Connacht se réclament fièrement de l'héroïque Sreng, leur ancêtre.

Ainsi prend fin la bataille de Mag Tured,
Ainsi commence le règne des Dananns sur l'Irlande...

HULPACH, Vladimir, et RIZEK, Tomas, Légendes celtes, Gründ, 2000

 

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